Lors du dernier salon i-expo qui s’est tenu le 20, 21 et 22 mars dernier à Paris, FLA Consultants organisait un atelier sur le thème « L’information au service du dirigeant est-elle un mythe ? » qui était animé par Aurélie Vathonne, responsable du département Veille de FLA consultants et rassemblait trois intervenants:
- Pascal Junghans, Directeur du département prospective d’Entreprise et Personnel et auteur du livre « Les dirigeants face à l'information »
- Marie-Laure Chesne-Seck, Consultante en gestion de l’information, précédemment responsable Intelligence Scientifique au sein d’un grand laboratoire pharmaceutique
- et Anne-Marie Libmann, Directrice opérationnelle de FLA Consultants et auparavant responsable du service d’information de Pechiney (puis Alcan et Rio Tinto)
Le rapport des dirigeants à l’information
Dans son ouvrage « Les dirigeants face à l’information », issu de sa thèse de doctorat, Pascal Junghans analyse le rapport des dirigeants à l’information. Pour cela, il a interviewé 26 dirigeants surtout de grandes entreprises françaises mais également des directeurs de filiales d’entreprises anglo-saxonnes en France ainsi que de PME et start-ups.
Et son constat est clair : "les dirigeants sont des machines à traiter l’information". Et si certains sont en contact direct avec les professionnels de l’information, beaucoup passent par leurs directeurs de cabinet pour obtenir l’information et n’ont donc pas un contact direct avec eux.
Mais même s’ils "baignent dans un bain d’information", ils en veulent toujours plus...
L’importance du positionnement des professionnels de l’information dans l’organisation pour servir la prise de décision
Anne-Marie Libmann et Marie-Laure Chesne-Seck sont ensuite revenues sur leurs expériences respectives à la tête de services d’information pour mieux analyser le positionnement des professionnels de l’information par rapport à la direction.
La nécessité d’un positionnement pas seulement technique
Anne-Marie Libmann a pratiqué le management de structures d’informations au sein de grands groupes pendant 25 ans.
En tant que responsable, elle a toujours dû se positionner sur deux fronts : technique bien sûr mais aussi politique car il faut défendre à la fois des équipes et des moyens.
Les différentes évolutions, managériales et culturelles, au sein des sociétés qui se sont rachetées successivement a entraîné des évolutions naturelles dans le positionnement des services.
La relation et la position des professionnels de l’information par rapport aux décideurs ne sont pas évidentes. Car la majorité de pro de l’info sont d’excellents spécialistes mais des spécialistes de l’écrit.
Or exister politiquement, c’est plutôt de l’oral et du relationnel.
Elle a ainsi rappelé l’importance d’être en contact avec les décideurs, la nécessité d’intervenir dans les instances dirigeantes, le besoin de créer des liens avec ceux qui prennent part ou participent aux décisions notamment financières (jusqu’au contrôleur de gestion).
Et, chose très importante, tous les décideurs sont naturellement intéressés par l’information, contrairement à certaines croyances ou certaines peurs. Anne-Marie Libmann l’a très souvent constaté.
Finalement, la place du service d’information dans l’organigramme est cruciale et c’est de cela dont va dépendre l’impact qu’il va avoir ou non sur la prise de décision.
D’un poste classique de documentaliste à celui de « consultant volant » au sein d’un grand laboratoire pharmaceutique
Au départ responsable d’un service d’information classique, Marie-Laure Chesne-Seck a vu son positionnement changer radicalement en 2012 quant il lui a été demandé de créer un service d’intelligence scientifique pour servir les besoins de la R&D où elle serait seule avec une casquette de « consultant volant ».
La direction avait pour projet de "renouveler" le centre de documentation existant depuis déjà plusieurs années en créant quelque chose de complètement nouveau.
L’idée étant de recapturer le savoir-faire documentaire mais en produisant des livrables de plus grand impact.
Certains décideurs avaient conscience de la valeur des professionnels de l’information et voyaient en eux une garantie de fiabilité et d’exhaustivité là où d’autres fonctions connexes apportaient une information de qualité insuffisante ou incomplète techniquement.
Mais pour ce nouveau poste, il fallait se délester des anciennes tâches comme la gestion de la bibliothèque et des collections, la gestion des outils ou encore la formation.
Il restait alors la valorisation de l’information, la transformation des livrables et l’analyse.
Cette fonction combinait les ressources d’information classiques, de nouvelles ressources et l’appel à des prestataires extérieurs. Au final, elle s’est transformée en "chef d’orchestre" de projets et la partie opérationnelle a été déléguée à d’autres.
Cette nouvelle structuration lui a ainsi permis d’avoir plus de temps à consacrer pour une production à valeur ajoutée, d’explorer des livrables plus ambitieux et participer pendant plusieurs mois à de grands projets sur de grandes thématiques.
La R&D du laboratoire était une structure à taille humaine ce qui permettait d’aborder les gens facilement.
Parmi les enseignements qu’elle a pu tirer de son expérience, elle a insisté sur l’importance de recueillir les besoins au plus haut niveau, soit au niveau de la direction pour ensuite les dérouler au niveau du middle management. Car les décideurs ont une bonne vision des sujets cruciaux et critiques.
D’autre part, elle a insisté sur l’importance du sponsoring institutionnel pour être présenté à tous et adoubé et ainsi être visible au sein de l’organisation et pris en considération.
Comment les professionnels de l’information peuvent-ils mieux exister ?
Les professionnels de l’information alimentent aujourd’hui une organisation plus qu’un seul homme. Et s’il y a bien un lien de cause à effet entre l’information et la prise de décision, il est toujours difficile de relier directement la fourniture d’information à la prise de décisions stratégiques. Comment les professionnels de l’information peuvent-ils se positionner et comment peuvent-ils mieux exister dans l’organisation ?
Le dirigeant ne veut pas d’informations qu’il a déjà mais il a un besoin crucial de vérifier l’information qu’il reçoit de toutes parts
Pour Pascal Junghans, l’un des principaux soucis du dirigeant est de vérifier l’information qu’il reçoit de toutes parts et de confronter les différentes informations entre elle. Et c’est un des points sur lesquels les professionnels de l’information peuvent se positionner. Le dirigeant a besoin d’agréger l’information pour faire le tour d’un sujet.
En plus de informations qu’il reçoit de la part de ses collaborateurs, il a besoin d’une information plus fine, une information de type "stimulus" ou "signal faible" qui déclenche la réflexion puis par extension la prise de décision.
Il est en revanche important d’avoir conscience que les dirigeants disposent de peu de temps pour lire des rapports, notes ou synthèses et il est donc primordial que l’information qui leur est fournie soit courte et concrète. Il est en effet rare qu’ils lisent des notes de plus de 2 pages.
Toute cette information que le dirigeant agrège va lui servir principalement à gérer les milliers de personnes qui compose son entreprise, à gérer la relation avec les actionnaires et à penser l’entreprise de demain. Sur ce dernier point, il a donc besoin d’information prospective et non "rétroviseur". L’entreprise doit proposer des produits disruptifs pour se démarquer de la concurrence et les décideurs ont donc besoin d’une information disruptive.
Les professionnels de l’information ont toute leur place dans l’organisation mais il faut oser se rendre visible, sortir du cadre et communiquer.
Il n’y aura pas nécessairement de contact direct avec le dirigeant mais il est important d’en avoir avec son entourage. Pascal Junghans est d’ailleurs plutôt optimiste sur l’avenir de la profession dont l’importance devrait s’accroître avec l’arrivée de dirigeants de plus en plus formés au management anglo-saxon.
Les différences de cultures jouent sur la place des professionnels de l’information dans l’entreprise.
Pascal Junghans insiste sur le fait que les nouveaux dirigeants de demain sont et seront formés au management américain, ce qui n’est pas le cas des grands patrons français d’aujourd’hui qui ont pour la plupart plus de 50 ans.
Dans le système anglo-saxon, il y a une conscience plus forte que l’information a un coût et de l’importance des sources et des professionnels de l’information dans le processus.
Marie-Laure Chesne-Seck et Anne-Marie Libmann ont elles aussi été confrontées aux différences culturelles entre un management à la française et un management anglo-saxon.
Pour Marie-Laure Chesne-Seck, l’image de l’infodoc en France a un côté figé, plus opérationnel que du côté des décideurs. Le professionnel de l’information est souvent perçu comme "un technicien documentaire". Dans les pays anglo-saxons, le professionnel de l’information est considéré comme "l’expert de l’information" et il peut proposer des sujets innovants, faire sa place et on lui laisse la possibilité de faire ses preuves.
De son côté, Anne-Marie Libmann est revenue sur un passage du livre de Pascal Junghans où l’on découvre qu’un des dirigeants de KPMG a accès à l’intranet, l’utilise pour obtenir de l’information, sait ce qu’est Factiva et l’utilise. A l’époque où elle travaillait chez Pechiney, les top managers avaient par exemple conscience de l’importance des bases de données financières comme Bloomberg, Reuters mais beaucoup ne savaient absolument pas les manipuler. Les entreprises françaises sont par ailleurs basées sur un système hiérarchique fort où le contrôle du N+1 ne favorise pas par nature la communication (écrite et orale) du professionnel de l’information vers les couches dirigeantes supérieures.
Anne-Marie Libmann fait l’hypothèse que bien souvent, les professionnels de l’information sont perçus par les managers intermédiaires comme des "abonnements" que l’on peut supprimer en cas de restriction budgétaire, aussi "simplement" que l’on supprime un abonnement à des journaux ou magazines. On est parfois très loin de la vision du service d’information comme un service d’aide à la prise de décision. On reste trop souvent dans une fonction support et non pas stratégique.
L’idéal des livrables
La question des livrables est un élément central du métier de professionnel de l’information car c’est finalement le fruit de son travail et l’image qu’il va renvoyer au sein de l’entreprise.
Réaliser des livrables à haute valeur ajoutée pour répondre aux besoins de ces interlocuteurs n’est pas évident car on ne sait pas toujours où l’information arrive véritablement.
Le format du livrable dépend du client direct ce qui explique pourquoi il a ensuite du mal à passer les différentes strates de l’entreprise qui n’ont pas les mêmes besoins.
Tous les intervenants ont pointé l’importance de proposer des livrables très visuels et synthétiques pour avoir le plus d’impact. Anne-Marie Libmann a ainsi évoqué une anecdote lors de son expérience passée : une documentaliste effectuait une veille très pointue et d’une grande qualité analytique et rédactionnelle destinée à un grand nombre de clients d’une business unit. Il a été découvert par la suite que la directrice de la Communication de la business unit concernée reprenait intégralement le contenu de cette newsletter de veille et, ayant fait appel à une agence de design pour reformater le contenu dans un format de livrable plus percutant et attractif, rediffusait cela à la haute direction sous son propre nom et label.
Au final, les trois intervenants s’accordent à dire que les professionnels de l’information alimentent une organisation plus qu’un seul homme mais s’ils n’ont pas nécessairement de contact direct avec le dirigeant, il est important qu’ils en aient avec son entourage.
Il y a toujours une place pour eux dans l’organisation mais il faut passer d’une fonction support à une fonction stratégique.
Auteur : Carole TISSERAND-BARTHOLE, Rédactrice en chef de BASES et NETSOURCES