Auteur : Anne-Marie Libmann
Le marché des moteurs de recherche «à modération humaine », comme les qualifie Phil Bradley sur son blog orienté internet & médias sociaux, n’en finit pas de mourir et de se régénérer. La disparition du moteur ChaCha coïncide avec l’arrivée d’Askwonder. Les interfaces et les business models varient mais ces moteurs reposent tous sur un même principe : le client sous-traite sa recherche d’informations (sur tous sujets) à une armée d’experts distants via un site web.
A priori effrayants, - on pense à tous les emplois détruits des vrais professionnels de l’information, remplacés par des cohortes de chercheurs incertains et surtout invisibles, - ces moteurs, de par cette perpétuelle renaissance, sont intéressants à plus d’un titre.
Ils sont d’abord la preuve vivante que les moteurs de type Google n’ont pas remplacé le besoin d’expertise et de médiation humaine face à l’outil. Même pratiquée dans des conditions dégradées, l’intervention humaine demeure nécessaire et elle est ici toujours reconnue et fortement valorisée, puisque ces moteurs se lancent à coût d’investissements importants.
Ensuite, il est extrêmement intéressant d’analyser le discours commercial de ces sites, qui mettent en jeu des arguments de vente centrés sur l’expertise humaine, la valeur professionnelle et le gain de temps pour les clients non spécialistes. Les chercheurs d’informations sont définis comme des personnes «qui savent rechercher» et leurs profils de bibliothécaire, journaliste, documentaliste, professeur,… sont mis en avant. Beaucoup de chiffres, impressionnants, sont communiqués pour démontrer la valeur de l’outil : le nombre de requêtes traitées (jusqu’aux milliards !), le total du nombre d’heures économisées pour les clients, les millions de pages vues par les chercheurs…
Un chiffre est particulièrement intéressant : la valorisation du nombre d’experts derrière la machine, comme si finalement le grand nombre d’employés avait une influence favorable sur la qualité de la recherche. On est ici très loin de la notion de spécialisation des professionnels de l’information « classiques » dans les entreprises ou bibliothèques, et on constatera globalement qu’on est en fin de compte toujours dans la même logique promue par Wikipédia : la connaissance de la foule est supérieure à celle de l’individu.
Beaucoup d’autres questions se posent bien sûr, en particulier autour de la relation entre le client et ce nouveau type d’expert anonyme.
Tout cela donne sérieusement envie de tester, avec une vraie méthodologie, la performance réelle de ces «moteurs humains», et de continuer à réfléchir sur la spécificité du métier de l’information. C’est ce que nous ferons dans un prochain article de notre revue BASES.